Le rapprochement pourrait être audacieux : la lutte contre le Covid 19 s’apparente à une lutte contre le terrorisme. Sans aller jusqu’à l’analogie parfaite, des similarités peuvent être constatées. Ainsi après quelques observations dans un champ assez large, nous verrons comment il est possible de lutter contre ce fléau en s’inspirant de la manière dont on essaie de lutter contre le terrorisme globalisé tel qu’on le connaît depuis deux décennies.
Quelles similarités ?
L’émergence : le Covid 19 est un fléau dont on ne comprend pas encore le fonctionnement (au moins pour le grand public) ; il semble ne pas y avoir de logique dans sa diffusion géographique, dans les raisons pour lesquelles certaines personnes sont plus touchés que d’autres, dans son mode de propagation. Là où on pourrait l’attendre, il n’est pas forcément; là où il se déploie à une vitesse fulgurante on ne comprend pas pourquoi ; et à des endroits disposant (semble-t-il) du même environnement sa progression est beaucoup plus faible.
Ces observations sont celles qui peuvent être faites lorsque l’on fait face à une organisation terroriste : pourquoi tel accès de violence à cet endroit et pas à tel autre ? Pourquoi à cette période qui semble moins favorable plutôt qu’à telle autre ? Pourquoi avec tel effet apparemment peu probant, alors qu’il aurait pu être maximisé dans un environnement plus propice et vice-versa ?
- La diffusion et la présence : les raisons pour lesquelles il se diffuse sont encore obscures et sa présence semble difficilement traçable. Évoluant complètement sous le scope de nos critères d’observation habituels, on n’arrive pas à en mesurer l’ampleur. Se mélangeant à des maladies saisonnières, se diffusant de manière asymptomatique, on ne sait pas pourquoi il frappe gravement les personnes parfois en bonne santé apparente. S’agit-il de facteurs « internes » liés à la physiologie et l’état de santé du patient ? Ou bien « externes » liés à une région particulière, à un climat particulier ?
Encore une fois ces mêmes observations peuvent être appliquées au phénomène terroriste global tel qu’on le connaît depuis deux décennies (tout du moins pour ma génération). Pourquoi dans telle région qui semblait favorable à son expansion celui-ci ne se diffuse pas? Pourquoi telle population qui semblait peu encline à une doctrine radicale, se convertit à ses thèses ? S’agit-il de facteurs internes reposant sur des faits historiquement ancrés ? Ou de facteurs externes favorisant son implantation ?
Quelles solutions ?
- L’action curative : à la guerre, qu’elle soit sanitaire ou plus traditionnelle, on est toujours surpris dans ses premiers instants et le plan se déroule rarement sans accroc (quand il y en a un). Dans tous les cas il est nécessaire de réagir pour contrer les premières actions de l’adversaire, et, avec le peu d’éléments que l’on a, essayer de perturber sa progression. Des mesures fortes (même si imparfaites) doivent être prises, en concentrant des moyens sur les zones touchées tout en préservant une capacité en réserve.
Les mesures de confinement actuelles ou le déploiement d’un hôpital militaire de campagne dans l’Est de la France en sont des exemples.
- Le renseignement : c’est une similarité avec la lutte contre-terroriste ; il s’agit d’essayer de comprendre un phénomène dont la complexité a été évoquée ci-dessus. Cela peut se faire notamment en se basant sur le retour d’expérience de l’action curative et en déployant un "plan de renseignement" avec des capteurs dédiés permettant de faire remonter de l’information, dans l’idéal avec des critères mesurables. S’inspirer du retour d’expérience d’autres pays est tout aussi nécessaire, mais en sachant prendre en compte les différences liées aux facteurs externes évoqués plus haut. Ce qui a marché ailleurs ne fonctionnera pas forcément exactement de la même manière. Une fois exploité, ce renseignement doit pouvoir être diffusé pour, cette fois-ci, anticiper et donner place à l’action préventive.
Sur ce point il est par ailleurs intéressant d’observer la méthode sud-coréenne basée sur une stratégie massive - et assez intrusive - en termes de collecte de données. Toutefois cela permet de disposer d’éléments factuels consolidés pour orienter un plan d’action ciblé limitant la paralysie du pays.
- L’action préventive : nourrie par la boucle de renseignement, le but est de pouvoir élaborer des scénarios et préparer les actions curatives suivantes. Cela passe par une remontée d’information élargie aux zones non touchées pour détecter les signaux faibles. Le retour d’expérience ne concernant pas uniquement l’adversaire, mais également sa propre action, l’objectif est de pouvoir évaluer les bons moyens (en quantité et en qualité) nécessaires sur les futures zones d’action. Il faut également pouvoir prévoir les bascules d’effort nécessaires et adapter ses plans d’action aux nouvelles situations. On peut même être d’emblée plus offensif en « testant » à échelle réduite ses plans dans des zones pas nécessairement massivement touchées afin de les éprouver.
Ainsi Belle-Île pourrait être un bon « laboratoire » : un territoire délimité facilement contrôlable (remontée renseignement), mélangeant une population préservée et une population potentiellement touchée, avec des moyens médicaux réduits nécessitant des transferts complexes (voie aérienne ou maritime).
Ces trois points qui se succèdent ne sont que les éléments d’une seule et même boucle qui doit pouvoir s’entretenir elle-même, afin de disposer de la capacité à élaborer et à mettre en œuvre dans un temps restreint des solutions adaptées.
Enfin quelques observations pour terminer :
- Comme pour toute gestion de crise, le facteur prédominant est humain : capacité à coordonner l’action dans un environnement incertain, leadership pour prendre des décisions difficiles mais acceptables par le plus grand nombre, ferme volonté de vaincre en capitalisant sur les revers qui ne manqueront pas d’arriver.
- Un autre facteur-clé inspiré de la lutte contre-terroriste est la capacité d’adaptation : face à un adversaire polymorphe se diffusant rapidement et frappant sans logique apparente, il est nécessaire de disposer d’une part d’une souplesse intellectuelle, et d’autre part d’une chaîne de direction coordonnée et décentralisée, disposant de moyens propres et d’autonomie dans les décisions à chacun de ses niveaux.
- Une fois l’aspect leadership et management évoqué, la question à se poser est aussi de savoir si nous disposons des bons outils. Pour pouvoir collecter, analyser et exploiter massivement la donnée, pour pouvoir la diffuser aux bons interlocuteurs, et enfin pour pouvoir coordonner de manière fluide une multitude d’acteurs ne travaillant pas forcément habituellement ensemble.
Avec une pensée toute particulière pour ceux qui en ce moment ont « les mains dedans » et ceux qui doivent prendre des décisions « de vie ou de mort » à tous les niveaux.
(carte issue du site suivant : https://www.numerama.com/sciences/608767-coronavirus-a-quelles-cartes-se-fier-pour-connaitre-la-propagation.html)
Comments